En Occident, le regard esthétisant posé sur les objets venant d'ailleurs n'est ni neutre ni spontané. Pour ce qui est des arts d'Afrique, ce regard construit s'est forgé au début du XXe siècle, dans le contexte d'une Afrique colonisée, par le biais d'actions concrètes et délibérées initiées par un petit groupe d'acteurs, mené par Guillaume Apollinaire : artistes d'avant-garde, critiques, collectionneurs et marchands.
Prenant appui sur un ensemble d'archives largement inédites, cet ouvrage se concentre sur le rôle joué par les marchands d'art au tournant du siècle dernier, dans la définition, la promotion et la circulation d'objets africains en tant qu'oeuvres d'art, en Europe et aux États-Unis. Cette fabrique du regard fut activée par un cercle étroit d'individus qui peuvent être considérés comme les principaux protagonistes de la création du marché des arts africains des deux côtés de l'Atlantique avant 1920 : Joseph Brummer, Robert J. Coady, Marius de Zayas, Paul Guillaume et Charles Vignier. Par le choix des oeuvres qu'ils opérèrent, les expositions qu'ils organisèrent et les ouvrages qu'ils publièrent, ils furent largement responsables de la construction du « canon » des arts africains, et influencèrent leur perception en Occident jusqu'à ce jour.