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ENSOR (J.). J'aime la grosse fête..., manuscrit autographe signé et daté « Ostende, 18 août 1935 », 4 feuillets in-4° (rectos seuls), à l'encre noire sur papier bistre.

Un truculent discours de James Ensor (1860-1949) pour ses 75 ans.

D'une plume trempée dans l'encre de Rabelais, Ensor brosse un savoureux portrait de ses amis.
En août 1935, pour les remercier de la fête organisée pour ses 75 ans par ses amis et les autorités d'Ostende, ville où il naquit en 1860, James Ensor prononce ce discours dans lequel il adresse, dans sa manière truculente et bouffonne, un bref salut aux présents et aux absents de l'événement et même « aux oubliés, aux manifestants réfractaires, [aux] mécènes endoloris de snobolie, [aux] gourgandines de grognoli, [aux] savantasses de mirandolie, [aux] compositeurs enchevêtrés de cacophonie, [aux] musiciens de colophanie, [aux] avocats pirouettants »... Pour ne citer qu'un seul de ses saluts, citons celui qu'il adresse à son confrère, ostendais comme lui, le peintre Léon Spilliaert (1881-1946), « contre épicier au sourire mordant, défenseur de nos sites du bon vieux temps ».
Très attaché lui-même à Ostende et engagé dans la sauvegarde de son patrimoine, Ensor termine son texte par un vibrant éloge de sa ville : « Ostende ville étrange, assise sur des eaux, les clefs musicales de votre écu de sables et d'or forceront les cadenas des continences, les serrures des bienséances, les verrous de tout-repos. Vive Ostende vainqueur, Ostende Paradis mouvant des bons peintres. »

Le texte de ce discours a été repris, avec quelques modifications et corrections, dans Mes écrits (il se trouve aux pages 215-219 de l'édition de ce recueil de textes publiés entre 1882 et 1946, parue en 1974 à Liège aux Éditions nationales).

Le manuscrit est préservé dans un étui à dos de maroquin noir.

Dimensions : 275 x 210 mm.

Ensor (J.), Mes Écrits, Liège, Éditions nationales, 1974, pp. 215-219 (notre discours, publié sous le titre « Discours de Monsieur le Baron James Ensor - Autorités d'Ostende, la Reine de la Mer ») et 220-227 (un second discours, différent mais toujours en français, pour la même occasion (pp. 220-226) et ce qui, semble-t-il, est un résumé de notre discours en flamand (pp. 226-227)).

 


Transcription :

f. 1 [chiffré au crayon, puis au crayon rouge en haut à droite]
[Dans l'angle supérieur gauche, quelques mots au crayon, presque entièrement gommés, peu ou pas lisibles :] « Copie [deux mots illisibles] Mr Cremer [?], le 21 août 35 », puis, toujours au crayon, au-dessus de la première ligne du texte à l'encre :]
Autorités d'Ostende la reine de la mer
Mes chers amis,
J'aime la grosse fête désirée par les jeunes. Je vous dirai en lan-
[/]gage de peintre la fête de la vieillesse verte.
Ce moment me donne cœur au ventre et meuble mes pensées.
[/] Je retrouve ici des amis charmants et conciliants ceux de Flandres [/] dégriffés, ceux de Wallonie décrêtés [décrétés?] se montrent patte farinée.
Je vois parmi mes défenseurs un grand sympathique, monsieur
[/] de Broqueville mécène clairvoyant sensible à tous crins. Et pour [/] mémoire je ne vois Louis Piérard le voyageur intrépide toujours [/] ailleurs et quelque part pour semer la fleur écarlate ni René Lyr [/] ni Flor Alpaerts défenseurs de ma musique quand elle trompette mes [/] illusions. Détachons les frères Haesaerts remueurs de [sept mots repassés sur d'autres :] ciels de lys et d'eaux de rose [/ avec un mot au crayon dans la marge à gauche :] et Jean Teugels beau magistrat en goguette toujours friand de modernité [/] Hé bonjour messieurs de la presse ostendaise... Hauts parleurs parfois déroutés [/] indisposés en cinq sec quand j'ai soufflé trop chaud en hiver et trop froid en été.
[Quelques mots au crayon dans l'interligne qui suit (ils seront aussi repris plus bas) :] Et chapeau bas devant Torrès le maître avocat.
Des hommes de France sont un peu là. Albert Croquez dit Albert
[/] le Grand, membre influent de l'Académie nordique et féru de nos [/] Cortèges [surchargeant : carnavals] ou procession de nos pompes et de nos œuvres. Croquez [/] conseiller d'État acidulé d'eau-forte ; derrière [surchargeant : devant] et devant nos bancs d'[/]épreuves il croque ses croquis. Et cric et croque. Croque et craque [/] nos semelles craquent dressons nous sur nos ergots, hardis les coqs [/] gaulois. Cocorico. En flamant couqueloureco [Quelques mots au crayon dans l'interligne qui précède, peu lisibles :] Et chapeau bas devant [?] le maître avocat et Jules Joets [quelques mots au crayon dans l'interligne qui précède, peu lisibles :] peintre assez sudiste de l'Académie septentrionale a bien verni mon nez et frisé ma moustache [puis retour au texte à l'encre noire :] est présent en per-[/]sonne et en solidité. Et je songe aux peintres des sources de l'Escaut, à ceux de la Meuse chers à Gilbard [Quelques mots tracés au crayon verticalement dans la marge à droite, illisibles] [/] Et Liège et ses filles libres que j'aime. Et Marcel L'Épinois et Camille [/] Fabry, défenseurs magnifiques des jeunes gardes de l'art wallon [Deux lignes tracées au crayon dans l'interligne qui suit :] Et les bouillants époux Demoulière [?] cordons bleus uniques [?] maîtres queus [sic] consommés et Hogge l'ami ardent de beauté suprême.
Anvers surtout m'honore et dore mes ambitions téméraires ou raisonnées [/] et l'art contemporain est là et Delange son secrétaire ami des belles cons-[/]tructions, le vieux Bruxelles est de son cru. [Deux lignes tracées au crayon dans l'interligne qui suit :] Et Van den Bosch l'orateur fringant [?] nous parle du temps d'antan et évoque Franck et les mécènes géant.
Ostende notre grand besoin national se découpe en quartier. Elle
[/] encourage [surchargeant un mot illisible] et amplifie votre imagination archi picturale.
La réception intime et charmante du 13 avril à l'hôtel de ville
[/] célébrant et récompensant mes 75 années de rébellion me tient [/] encore en éveil.
Notre excellent docteur Bourgmestre en sciences doctes, académicien
[/] futur et de tout repos nous servit un discours lumineux, pétil-[/]lant relevé d'une larme sablée de St Marceau, noble boisson [/] réservée aux invités de marque, as de la roue, courreurs [sic] vainqueurs [/] fendillés, boxeurs pointilleux, lutteurs estropiés, motocyclistes décranés. [/] Et Georges Verhaeghe, adroit découpeur d'ombres plus ou moins chinoises [/] a voulu louer mes recherches, mon maintien, mes attitudes, mes ex-[/]travers osés, concentrés, accumulés, acceptés et classés.


f. 2 [chiffré au crayon, puis au crayon rouge en haut à droite]
J'admire ses couleurs échevinales : cheveux blancs argentés [/], nez rouge social, teint rose galant, dents sculptées ivoire et or fin [/] ensemble séduisant d'échevin sans épines.
Le studio ajoute beaucoup aux éclats de la fête, son
[/] secrétaire le Commandant de Taye [corrigé au crayon en Taeye] surtout s'est prodigué et Mlle [/] Blanche Hertoge, l'idole du Studio, s'agite et se remue de fond en [/] comble. Cinquante cinq expositions témoignent de son effort [Deux lignes au crayon dans l'interligne qui suit, biffées et intégralement reprises deux lignes plus bas, après « du plus vivant des cercles »]
J'applaudis à la vaillance du Commandant de Taye [corrigé au crayon en Taeye]. Je remercie [/] sans façon les membres zélés du plus vivant des cercles [Deux lignes au crayon dans l'interligne qui suit :] et Mr Vandamme le donateur de la magnifique photo, chef d'œuvre de Tribbels, photographe par excellence, fixeur de lumières, Tribbels [/] donne ici toutes les mesures de son talent.
Un mot aux confrères ostendais ci-présents ou absents.
[/] Signalons Léon Spilliaert, contre épicier au sourire mordant [/] défenseur de nos sites du bon vieux temps. Nous avons criés [sic] de [/] concert et souvent pour sauver nos bassins magnifiques et utiles. [Une ligne au crayon dans l'interligne qui suit et dans la marge de droite :] et Madame Humblet s'est sacrifiée et Georges Ramaeckers s'est dévoué pour les sauver. Et Carol Deutsch les étudie avec les bons peintres d'ici Mayou Iserentant et Marlier.
Les quatorze cent [sic] signataires défenseurs de nos bassins ne désarmeront [/] pas. Sauvons nos bassins centraux les merveilles d'Ostende. [/] Sus aux vandales hors saison à l'œil cave, au crâne bourré de [/] terre réfractaire et fleurant asticots et légume d'hiver.
Nos musiciens surtout sont à la page Aimé Monqué éclaire
[/] de son lustre ses exécutants généreux. Son orchestre chasse de [/] race etc. [?] Madame Steyns la très gracieuse beauté poupine donne [/] brillamment de la voix à mon adresse en irradiant la [trois mots ajoutés à l'encre dans l'interligne qui précède :] Berceuse de la Gamme [/] d'amour, paroles [un mot ajouté à l'encre dans l'interligne qui précède :] caramelées de Gaston Heux, Heux, Heux, apostillées par [/] Franz Ansel, notre poète folichon, grand voyageur accompagnateur [/] devant l'Éternel. Un gros remerciements à Désiré Steyns, l'or-[/]ganisateur inlassable des salonnets bien connus du Kursaal, [/] salon d'expression éclectique et pacifique avant tout.
Mlle Allar
[corrigé au crayon en Allaert] a noble allure et récite à ravir à ma grande [/] satisfaction.
Notre commodore Gerbosch lit comme un sage et [/] combien judicieusement il nous explique les phases [surchargeant à l'encre : difficultés] de [/] mes débuts [surchargeant à l'encre : crasses lors] et les difficultés tressées aux époques dites héroïques [/] de la peinture, et des vagues relents [biffé au crayon] difficultés évanouies sous [/] des fleurs épanouies.


f. 3 [chiffré au crayon, puis au crayon rouge en haut à droite]
Jonckheer champion du Struggle for life a goûté et prisé [/] de la terre des Flandres communales. Anti gascon par excellence, [/] prodige de vaillance, crache feux [surchargeant : des] de joie pure et non pas [/] d'artifice. Vlaanderen den Leuw, la belle devise des fils de [/] Flandre, griffe l'écu citrin où [un mot biffé, corrigé en dessous :] grogne le jeune lion, fondu [/] au beurre noir de Dixmude.
Loontiens-Carlo, bibliothécaire, archiviste hors pair, magnétiseur,
[/] manicure-manifeste-manipulant, créateur restaurateur de musée [/] du fort et du faible. Loontiens grande figure un tantinet entichée [/] de petit caporalisme. Lootiens futur directeur général des Beaux-[/]Arts de notre West-Vlaanderen aimée. Je vous remercie en sub-[/]stance et rutilance. Cher ami, cheville travailleuse du Comité [/] de nos fêtes, vous reflétez si discrètement les accents mesurés de nos [/] menus plaisirs.
Et Pierre Maes ce bon ami, analyste corpulent fraisé de lauriers [/] napoléoniens cueillis de frais à l'étranger, grand prix de littérature [/] exotique à Paris et sabré chevalier. Voici le sabre, le sabre, le [/] sabre de bois de nos littérateurs prosateurs.
Deux défenseurs de nos jeunes antigueulards se désopillent [sic] la [/] rate en se serrant la main : Charles Bernard et Richard Du-[/]pierreux. Charles Bernard prince des critiques selon Daudet, [/] selon votre serviteur et selon les futuristes sensibles. Faut l'aimer [/] en vérité ce critique irrésistible, je n'oserai le peindre en pied, il [/] est trop grand. Richard Dupierreux écrivain loyal solide et franc, [/] soutient [sic] de l'art jeune, il élève des poids lourds ou vides, pilier [/] ferme du 'Soir' et sensible à mes malices, il ne me donne [/] pas tort quand j'ai raison et me souhaite bon appétit quand [/] je gobe quelques bourgeois.
[Une ligne ajoutée au crayon dans l'interligne qui suit :] Saluons en chœur les conservateurs adorablement boulimiques de nos musées [/] modernes.
Je remercie Jean Vervisch, le peintre lionné de bravoure,
[/] le promoteur bis de la manifestation. Je lui dois et à Dolf [/] Ledel, l'auteur du magnifique mémorial apposé sur ma [/] demeure, mon immortalité en réduction.
Dolf Ledel et Jean Vervisch ont bien mérité des masques d'Ensor.
Louons la vaillance de mes jeunes amis et leur abnégation.
Beaux briseurs d'obstacles, brûleurs de vaisseaux, casseurs de
[/] vitres et de vaisselle, ils mènent envers et contre beaucoup une [/] campagne magnifique pleine de sève et de sel.
Un hommage : Mr Lucas
[?] le plus diligent des entrepreneurs [puis un mot au crayon :] s'indique.


f. 4 [chiffré au crayon, puis au crayon rouge en haut à droite]
Bravo ! Échevins, conseillers ostendais vous rengainez ou diluez [/] aujourd'hui vos couleurs politiques pour aimer et arborer celles [/] de nos peintres. C'est un exemple à suivre, un réconfort pour [/] nous. Coloristes avant tout est notre cri de guerre.
J'adresse un salut aux oubliés, aux manifestants réfractaires,
[/] mécènes endoloris de Snobolie, juges cramoisis démuflés, magister [/] toqués ou détoqués, journalistes procéduriers, défenseurs indécis, arri-[/]vistes fromagers de Putricie, alarmistes frontiérisés, gourgandines de [/] grognoli, savantasses de Mirandolie, compositeurs enchevêtrés de [/] cacophonie, musiciens de colophanie, avocats pirouetant [sic] éclairez [/] vos lanternes, donnez-nous de la lumière, de la sainte lumière [/] et de la chair saine, fraîche et claire. Écourtez vos combinaisons [/] échancrez vos tissus crottés outre mesure.

À vous, critiques voraces venus de l'étranger, écumeurs sou-[/]pièrés, écrêmeurs des moelles, je redirai :
Ostende ville étrange, assise sur des eaux, les clefs musicales
[/] de votre écu de sables [sic] et d'or forceront les cadenas des con-[/]tinences, les serrures des bienséances, les verrous de tout-repos.

Vive Ostende vainqueur, Ostende Paradis mouvant [/] des bons peintres.

À vous, chers amis et amies, mes mains aux nerfs tendus, [/] Je vous dois, certes, un rajeunissement durable, vous [/] m'avez administré un cordial inoubliable, mes doc-[/]teurs seront jaloux.

Hip ! Hip ! Hourra !

James Ensor

Ostende, 18 août 1935

 

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